Choc culturel inversé au retour du Japon

Quand on part vivre à l’étranger, on parle énormément du choc culturel en arrivant. Comment s’adapter à une nouvelle culture, surmonter le mal-être que l’on peut ressentir, etc. Mais il est finalement très peu question du choc que l’on peut avoir au retour… et pourtant c’est quelque chose de bien réel, et qui peut être très difficile à vivre.

C’est un article auquel je pense depuis longtemps, partagée entre l’envie de l’écrire et l’envie de garder tout ça pour moi. Mais bon, ça va faire 2 ans (wow, déjà…) que je ne suis plus au Japon, le choc a fini par passer et j’ai eu le temps d’y penser plus calmement… et c’est vrai qu’à l’époque j’aurais aimé que plus de blogs français en parlent (pas que l’anglais me dérange, mais je n’arrivais pas à m’identifier à des gens ne rentrant pas en France). Donc voilà, pour ce second “anniversaire” du retour, un petit aperçu de la joie qui peut vous attendre si vous aussi vous rentrez du Japon !

Bien évidemment, je ne prétends pas détenir une vérité universelle. Il y a des gens qui seront ravis de quitter le Japon pour rentrer en France, d’autres qui y seront indifférents, et même pour ceux qui le vivraient moins bien, ce n’est pas pour tout le monde pareil. La manière dont on vit le retour dépend tellement de notre personnalité et de nos liens avec notre pays d’origine et notre pays d’accueil… Cet article se basera avant tout sur mon expérience, et sur ce que j’ai pu lire sur le sujet sur internet.

Attention, ça va être long.

  1. Une excitation éphémère

Rentrer chez soi après avoir passé des mois ou des années à l’étranger c’est souvent synonyme de retrouver plein de monde. La famille, les amis, tous ces gens qui ont peut être réussi à nous rendre visite pendant notre séjour, mais que dans tous les cas on a pas revu depuis longtemps. Et, on ne va pas le nier, c’est agréable !

Passé le premier choc de l’aéroport de Roissy (les 12h d’avion et le décalage horaire aident à ne pas trop faire attention à la saleté et à l’amabilité grandiose du personnel qui ne dit même pas bonjour), nous avions la chance d’avoir de la famille qui nous attendait, et donc d’éviter le choc brutal du RER B… A partir de là, on pouvait simplement se concentrer sur les gens qui nous attendaient à la maison, et ceux qu’on allait pouvoir revoir très prochainement. Enchaîner les retrouvailles, c’est non seulement très sympa, mais ça aide aussi à se focaliser sur des choses positives.

Un autre aspect qui fait plaisir : la nourriture. Si on a réussi à se faire envoyer un petit stock régulier de fromage et de charcuterie au Japon, il y a quand même des choses dont on a du se passer (*ahem * Mont d’Or *ahem*), et qui font fort plaisir à déguster !

C’est une période sympa, de “redécouverte” en quelque sorte… On a l’impression qu’on est là en vacances en fait, les gens et les lieux sont familiers, on raconte nos aventures, on profite un peu…

Mais après quelques semaines, une question ne nous quitte plus : “C’était sympa ces vacances, mais quand est-ce que je rentre chez moi ?”.

Quand on avait quitté la France, on savait que c’était temporaire, qu’on reviendrait ensuite. On partait construire quelque chose de nouveau, de différent. Du coup, quitter le Japon c’était ainsi abandonner toute la vie qu’on avait crée là-bas, sans savoir si on aurait l’opportunité de revenir un jour. En voyage ? Surement, mais pas tous les ans non plus. Pour y vivre ? Plus compliqué à envisager, et d’ici à ce que ça arrive il faudrait de toutes manières recommencer à zéro. Quitter le Japon avait quelque chose de “définitif” en soi… On ne le réalise pas forcément tout de suite, mais quand ça arrive ça fait un peu l’effet d’une claque.

  1. Etranger chez soi

Passons sur les méandres de l’administration française qui ne fait RIEN pour simplifier le retour. Là je parle plutôt de ressenti que de concret.

Personnellement, j’ai toujours eu du mal à me sentir “bien” en France, je ne sais pas trop pourquoi. Mais cette impression de “décalage” n’a jamais été aussi forte qu’à mon retour du Japon. Je me disais “non mais c’est mon pays, j’y ai grandi, je devrais savoir comment il marche”, rien à faire, j’avais constamment l’impression d’être maladroite, “sumimasen” était mon mot-réflexe, j’allais instinctivement à gauche dans les escalators… et je me souviens encore de cette pensée saugrenue que j’ai eu la première fois que j’ai remis les pieds dans un train de banlieue parisienne. Ce train, je l’ai pris tous les jours pendant ma première année d’études, ma première année de boulot, je le connais relativement par coeur… Mais cette fois-là, je suis entrée dedans, j’ai regardé les sièges et pensé “Mais c’est dégueulasse, je vais salir mes vêtements en m’asseyant là-dessus!” (2 secondes plus tard j’en rigolais toute seule et je me suis assise quand même, mais voilà)

Tout était vraiment bizarre en fait. Retourner dans des lieux familiers, où rien ou presque n’avait changé en 2 ans, j’avais toujours le sentiment que quelque chose n’allait pas… C’était… normal, habituel, et à la fois perturbant, j’avais presque une sensation de malaise. Et en y repensant, c’était tout simplement moi qui n’allait pas, je ne me sentais pas à ma place dans ce paysage. Mon corps avait beau être en France, mon cerveau était resté au Japon.

C’était probablement d’autant plus fort que, paradoxalement, je ne me suis jamais sentie aussi “à ma place” qu’au Japon. C’est peut-être un terme un peu fort, sachant qu’en tant qu’étrangère je n’avais jamais aucune chance d’être à ma place là-bas… Mais, en quelque sorte, ça m’a permis de me situer, de me définir… : Ok, j’étais étrangère. J’allais faire de mon mieux pour me fondre dans la masse et ne pas faire de vagues, mais je resterais toujours étrangère, donc parfois les gens me fixeraient bizarrement, les mecs qui font du porte à porte paniqueraient en me voyant sans savoir quoi me dire, etc. Mais ça me convenait, je savais à quoi m’attendre en gros. Et à l’opposé, être étrangère m’a permis de trouver mes élèves, d’avoir cette expérience que j’ai adoré, ça a été ma force quelque part.

Alors qu’au retour en France… Je suis française… ok… et alors ? Je comprenais certes ce qui était écrit partout, ou quand on me parlait, et pourtant, c’était comme si j’avais perdu tous mes repères. Je ne pouvais pas être en France la même personne que j’étais au Japon, et du coup, je ne savais tout simplement plus qui j’étais.

Cette partie n’est peut-être pas super claire, je m’excuse… C’est assez compliqué à décrire, et pour le coup le ressenti dépend vraiment de l’expérience de chacun. Mais ce sentiment de décalage est quelque chose que je retrouvais souvent sur les blogs anglophones, et ça a probablement été mon “symptôme” le plus marqué, donc je tenais à le mentionner.

  1. Garder ses histoires pour soi

Chaque personne qui rentre d’un voyage a envie d’en parler, c’est normal. Généralement, pour un voyage d’une ou deux semaines, on en parle quelques temps, et puis après on passe à autre chose… Mais est-ce qu’on peut vraiment qualifier un séjour d’un an et demi de “voyage” ? Sans le faire exprès, on va forcément avoir envie de parler de notre vie là-bas, de comparer, de raconter encore et encore les mêmes anecdotes… probablement jusqu’à épuiser le seuil de tolérance de notre entourage.

Ma famille et mes amis sont sympas et ne m’ont jamais dit que je les embêtais avec mes histoires^^ mais je me suis rapidement rendue compte que j’avais une très forte tendance à vouloir commencer mes phrases par “Au Japon…”, ou à toujours avoir envie de comparer les choses entre ici et là-bas (à la Poste, dans les commerces, les transports etc.) Du coup j’essayais de réprimer ces pulsions pour éviter de finir par agacer tout le monde – je ne sais pas si j’y suis super bien arrivée, mais j’ai essayé !

Ca a un aspect frustrant aussi quelque part, parce qu’au final on a tellement de choses à partager, tellement de choses à dire, mais il est évident que si on parle non stop du Japon les gens vont en avoir marre… D’autant qu’on a beaucoup tendance à idéaliser, donc à force de répéter “c’était mieux là-bas” on a vite fait de saouler tout le monde. (En même temps, dans la saleté ambiante du métro parisien, j’ai du mal à ne pas penser que le Japon c’était mieux…)

En fait, on a un peu l’impression d’avoir simplement cliqué “pause” sur sa vie en France le temps de vivre au Japon, mais pendant ce temps les gens ont continué leur vie de leur côté, et ont d’autres préoccupations que nos récits de voyage et de vie quotidienne à l’étranger… Alors que pour nous, en parler est aussi une manière de se raccrocher à ses souvenirs, de garder un lien avec notre vie d’avant.

  1. Et maintenant…?

Au moment de partir, on a plein de projets en tête pour sa nouvelle vie… Et avant de rentrer, on essaie de tirer profit au maximum des derniers moments sur place, sans penser forcément au retour. Mais voilà, on finit par rentrer, et après les premières semaines de visites d’amis et de famille, se pose la question du “et maintenant, on fait quoi ?”

En lisant les blogs anglophones sur le choc culturel inversé, je voyais souvent mentionné l’ennui, la routine, le fait que rien n’ait changé alors que nous avons changé intérieurement… Et c’est vrai, il y a ce danger de s’enfermer dans un genre de… “rien”. Regarder passer les jours en sortant un peu faire les courses, en discutant avec quelques personnes, en se demandant quoi faire sans vraiment chercher de réponse à cette question… Parce que quelque part, le moment où on reprendra réellement une vie ici confirmera encore plus le fait qu’on est vraiment parti. Que c’est vraiment terminé.

Evidemment, prendre son temps n’est pas toujours possible, dans notre cas nous avions la chance de pouvoir être hébergés chez nos familles le temps de trouver notre futur point de chute. Mais ça ne résoud pas la question du “Et maintenant ?”. Quand on a vécu quelque chose de tellement différent, comment reprendre là où on s’était arrêté ? Dans mon cas, je n’avais aucune idée de quoi faire. Avant de partir, je bossais sur des projets informatiques dans la finance et je terminais chez le médecin à peu près une fois par mois avec des symptômes plus ou moins variés dus au stress… Repartir dans cette même voie ? Inutile de dire que le mode de vie “un Xanax et ça repart” à même pas 30 ans ne me motivais pas du tout, d’autant que l’entreprise où je bossais était plutôt sympa, c’était vraiment plus une histoire d’inadéquation entre ma personalité et le travail en entreprise, donc je savais que je pouvais très facilement tomber quelque part où ça serait dix fois pire.

Il était de toutes manières entendu que nous irions là où mon mari trouverait quelque chose qui l’intéressait. (Au vu de mon inabilité chronique à savoir ce que je veux, autant qu’il fasse quelque chose qui lui plaît). Mais cette question ne me quittait pas, parce que je savais que je ne couperais pas à la question “et toi, tu fais quoi?” et que l’image de la femme au foyer (surtout sans enfants !) n’est pas exactement bonne dans notre société occidentale. (Pour celles et ceux que le sujet de la femme au foyer intéresserait, je vous invite à lire cet excellent article de Katzina) Parfois on me demande pourquoi je n’ai pas essayé de rencontrer des gens ici… Outre ma timidité et mon caractère solitaire, cette situation a clairement joué. Pas envie de me justifier sans arrêt de ne pas encore travailler et d’être considérée comme la feignasse de service, merci bien.

  1. Mais du coup, on s’en sort comment ?

Avec du temps. Et de nouveaux projets.

Au final, les choses ont fait que nous avons atterri au Luxembourg. C’est suffisamment similaire à la France pour que je n’aie pas exactement eu l’impression de repartir à l’étranger, donc ça n’a pas changé grand chose à mon état vis à vis du Japon (d’autant qu’il n’y a RIEN ici lié au Japon, à part un resto – excellent au demeurant – mais super cher). Mais ça a le mérite de ne pas être Paris, où nous n’avions clairement pas envie de revivre. (Malgré, du coup, les restos et boutiques japonaises).

Au début j’étais occupée à préparer notre mariage, et à gérer les formalités administratives, mais c’est vrai qu’une fois tout ça passé je me suis retrouvée dans un grand vide intersidéral, et je me suis globalement enlisée dans mon état de déprime post-Japon, en passant mes journées seule à l’appartement à jouer aux jeux vidéos (de fait, j’en ai fini quelques uns à 100%, c’était fun – passons). J’ai essayé – surement pas assez – de faire quelque chose. J’ai eu des contacts avec des SSII, qui m’ont donné envie de me jeter par la fenêtre parce que c’est toujours le même discours plein de belles promesses (sérieux, qui y croit encore ?) ; j’ai cherché des petits boulots type secrétariat, mais au Luxembourg il faut souvent être trilingue ou quadrilingue pour ce genre de travail ; j’ai voulu faire du bénévolat auprès d’associations mais on m’a souvent pas recontactée, ou alors simplement dit que ce n’était pas possible car je ne parlais qu’Anglais et Français. Du coup, j’avoue que ça ne m’a pas motivée non plus, d’autant que nous avions le projet d’avoir un enfant rapidement (et qu’il a toujours été question que j’arrête de travailler pour m’en occuper), donc je ne cherchais qu’une solution temporaire.

Au final, c’est aussi une question de volonté, et de personnalité. Je n’aime pas parler de ces choses là à voix haute, je préfère gérer toute seule, quitte à en parler après (comme ici – et encore, ça va que c’est à l’écrit), et quand je sens venu le moment de me mettre un coup de pied au cul, je le fais.

De fait, les choses ont fini par bouger un peu d’elles-mêmes. J’ai eu la chance de pouvoir redonner des cours via Skype à certains anciens élèves, donc déjà ce simple fait m’a fait plaisir. On avait prévu de retourner deux semaines au Japon au printemps, donc j’avais ce but en tête pour me motiver, et tout à préparer pour le voyage. J’ai fini par décider de reprendre le blog, ça me fait toujours une petite deadline par ci par là. Et là… disons que je suis sur un gros projet de neuf mois qui devrait voir le jour début février, et qui devrait m’occuper suffisamment ensuite pour que je n’aie plus le temps de regretter ma vie temporaire au Japon^^. (A vrai dire, un suivi médical en français et les récits de grossesse au Japon me font également apprécier d’être ici, finalement !) Le Japon me manque toujours, c’est sur, mais j’ai appris à vivre en regardant ces années avec de l’affection pour ce que j’ai vécu, plutôt qu’avec du regret pour ce que j’ai quitté.

japon mont fuji fujisan

Au final, c’est normal de se sentir mal en revenant au pays, surtout si on sait que c’est “définitif”. Peu importe que vous ayez l’impression d’être ingrat (“j’ai vécu cette super aventure que tout le monde m’envie et je suis même pas content”), c’est votre vie, votre ressenti. C’est faire le deuil d’une autre vie, c’est normal que ça prenne du temps et que ce ne soit pas facile. Ca peut passer tout seul, avec du temps, en en parlant avec ses proches… Mais si ça ne va vraiment pas, n’hésitez pas à demander de l’aide, inutile que ça se transforme en dépression.

Voilà, cet article à rallonge touche à sa fin… C’est assez différent de ce que j’ai l’habitude de poster mais j’espère que ça vous aura intéressé malgré tout !


2 réflexions sur “Choc culturel inversé au retour du Japon

  1. Tu vas rire (ou enfin plutôt pas) mais j’ai une peur panique à l’idée de devoir rentrer en France. Et quand je dis peur panique j’exagère à peine. J’en suis pas encore aux tremblements mais j’ai mal au ventre rien que d’y penser.
    Enfin bref, si je dois partir du Japon, je vais faire un tour dans un autre pays (le PVT est bien pratique quand on y pense).

    Courage pour la suite et félicitations 😀

    1. Je comprends totalement^^ quelques mois avant le retour j’ai commencé à être terrifiée, je ne savais pas comment j’allais pouvoir me réadapter. Il y a tellement de choses qui font que je me sens mieux au Japon, et imaginer retourner à ma réalité d’avant… Oui, c’était terrifiant !
      J’ai été voir ton blog, et j’espère vraiment que tu pourras avoir ton visa et rester au Japon 🙂 Merci pour ton commentaire en tout cas !

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